Le pantalon, un support d'égalité
Musée BELLEVUE
En quoi le pantalon a t-il été le support de l'égalité en France à travers le temps ?
"Pantaleone", nom d'un personnage de la Comédie italienne, qui jouait le rôle d’un vieillard riche et avare avait un costume spécifique qui comprend ces culottes longues et typiques. Ce personnage pratique la « pantalonnade » : c'est une danse qui amène à pratiquer une quantité de bouffonnerie et de pitrerie. Voilà donc l'origine de l'appellation du pantalon, étonnant n'est-ce pas ? Bien que le pantalon ai été introduit au XVIe siècle sous sa forme actuelle et dans toute l'Europe occidentale par des comédiens vénitiens; le port du pantalon était déjà d'usage depuis la plus haute Antiquité pour les peuples guerriers et chasseurs du nord de l’Europe afin de se protéger du froid et surtout pour monter à cheval. Mais à partir du IIe siècle av J-C, les Gaulois adoptent cette tenue appelée communément "braies" sous l’influence celte et germanique. Chez les grecs et les romains ce vêtement était l’emblème même de la barbarie. Cependant en Orient, les Perses et les Mèdes portaient depuis longtemps sous leur robe le pantalon en signe de leur rang social élevé tandis qu'en France c’est la culotte qui prônait.

La culotte aristocratique dans ses diverses formes
Dès le XVIII ème siècle, la culotte apparaît en France comme un symbole de puissance entre les deux classes,le privilège du port de la culotte de soie est effectivement réservé aux aristocrates et aux bourgeois,les paysans de l’Ancien Régime eux, portaient toujours de larges braies,sorte de pantalons en toile composant le costume du petit peuple français,porté en ville et dans les campagnes,nous pouvons également remarquer que plus modeste était l'individu, plus les tissus portés étaient grossiers. Les vêtements étaient souvent assez abîmés puisqu’ils étaient récupérés et aussi très utilisés, les familles de l’époque ayant peu de rechange.
La réunion des États Généraux,intéressante à plus d’un titre concernant le style vestimentaire,reflète bien les inégalités de l'Ancien Régime,la différence de costumes entre les différents participants est très notable et révèle que ces inégalités sont beaucoup moins liée à leur porte-monnaie qu’à leur place dans la société d’ordres. Louis XVI a en effet imposé aux députés le costume correspondant à leur ordre, c’est ainsi presque l’ultime manifestation de cet Ancien régime vestimentaire.
On peut ainsi noter l’opposition entre la simplicité du costume du tiers état tout de noir vêtu et arborant le pantalon populaire et celui des nobles très souvent habillée de culottes synonyme d'accoutrement fastueux et élégant.

Costumes de cérémonie des députés des trois ordres lors des Etats Généraux : à gauche le clergé, au centre, la noblesse et à droite, le tiers état qui se distingue par sa sobriété.
Au cours du XVIII ème siècle, (époque notamment caractérisée par le siècle des lumières), durant la Révolution française, le port du pantalon deviendra donc une tendance politique révolutionnaire. Le peuple, porteur de pantalons, se fera appelé les « sans-culottes » par opposition aux classes aisées. Qui sont les sans-culottes ? Eh bien ceux sont des révolutionnaires issus des couches populaires des grandes villes et en particulier Paris. Ils ne correspondent pas à une catégorie sociale homogène. Ils appartiennent tous à la partie modeste et laborieuse du peuple et sont en premier lieu des travailleurs manuels, initialement originaire de classes populaires.
Le sans-culotte est d'abord reconnaissable à sa tenue : il ne porte pas la culotte, mais un pantalon large et long, généralement en bure rayée (la bure est un tissu de laine assez grossier/épais), ce qui le différencie de l'aristocrate méprisé quand a lui arborant la culotte courte agrémentée de bas de soie.
Il est chaussé de sabots, parfois remplis de paille, et porte également des bretelles, et une veste courte appelée la « carmagnole », Coiffé du bonnet phrygien rouge (rappelant l'affranchissement des esclaves) avec cocarde tricolore(un des symboles de la France,elle est composée des trois couleurs du drapeau Français, avec le bleu au centre, le blanc ensuite et le rouge à l'extérieur), il tient en main, dans les occasions importantes, la fameuse pique, emblème du militant.
Ils affirment d'abord le caractère inaliénable (qui ne peut être enlevée/détournée/aliénée) de la souveraineté populaire. Aspirant à l'égalité, les sans-culottes manifestent grandement leur hostilité et mécontentement envers les riches, considérés comme inutiles et fainéants : leur vœu n'est d'ailleurs pas la suppression, mais la limitation de la propriété.

Des sans-culottes face à un homme qui porte la culotte

Représentation d'un sans culotte par Louis-Léopold Boilly (1761-1845).

Un sans-culotte et sa pique,18e siècle par Lesueur Brothers.

Exemple de vêtements portés par le peuple,dont le pantalon et les sabots pour l'homme.
La Révolution française apparaît ainsi comme un tournant dans l'histoire des codes vestimentaires. La société d’ordres va disparaître au profit de l’égalité politique, d’autres droits sont reconnus par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Cette nouvelle égalité se révélera aussi d'un point de vue vestimentaire,en effet La culotte aristocratique est abandonnée au profit du pantalon, habit très populaire, se diffusant dans la société française dès 1792 et coexistant désormais avec celle-ci. Les bourgeois de l’Assemblée Nationale et de la Convention gardent un attachement fort pour ce dernier.
Le pantalon reste durant un moment le vêtement des ouvriers, même si on voit apparaître une sorte de compromis avec la culotte. Cependant il faudra attendre 1850 pour qu'il soit véritablement accepté comme vêtement de ville et d'usage courant. Sous le surnom"tuyau de poêle", le pantalon participera donc à alléger les complexes en cachant les éventuelles imperfections des jambes. Ses origines renvoyaient jusqu’au XIX ème siècle à une connotation plus ou moins négative: vêtement du vaincu, du Barbare, du pauvre, du paysan, du bouffon…
Dorénavant le costume citoyen s'inspire des nouvelles valeurs de la société : liberté, égalité, simplicité… le pantalon tend à se diffuser mais il n'est cependant pas réellement identique entre les classes, nous pouvons toujours noter quelques différences et inégalités, le nouveau pantalon bourgeois, collant contrairement au pantalon large des sans-culottes se révèle être un affublement persistant dans le domaine reclus du vêtement de luxe, celui ci est en effet bien trop onéreux et demeure ainsi inaccessible pour le peuple quand à lui beaucoup plus modeste. Une barrière de distinction persiste ainsi toujours entre les classes sociales de France.

A gauche, la gravure illustre le costume masculin en 1780 ; à droite,une gravure de 1801.
La Révolution, bien qu'étant vainqueure, et un tournant dans l'histoire de codes vestimentaires pour l'homme, celle-ci n'en finit cependant pas avec les valeurs de l'Ancien Régime. En effet, pendant la Révolution, certaines femmes comme les cantinières par exemple avaient le droit de porter un pantalon sous une jupe mais aussitôt après la fin de la Révolution, bien qu'ayant grandement participé elles aussi, celles-ci ne furent nullement récompensées, bien au contraire, elles furent l'objet de décrets visant à les empêcher d'être égale à l'homme vestimentairement parlant et par conséquent son égale en tout points.
Ainsi le décret du 29 octobre 1793(soit ordonnance prononcée le 8 Brumaire de l'an II ), en même temps qu'il supprime les clubs de femmes, précise également que"chacun est libre de porter tel vêtement et ajustement de son sexe que bon lui semblera, sous peine d'être considéré et traité comme suspect..."Quel que soit le régime en place, dès lors, toute femme qui oserait outrepasser les bornes de son sexe" sera assimilée à un être travesti, hybride et de mauvaise vie. Certes, la loi décrète la liberté du vêtement, mais elle précise : « dans le respect du vêtement de chaque sexe ».
A cette période, les seules femmes ayant l'autorisation de porter ce genre de vêtement, étaient des danseuses d'opérettes pour respecter les principes de décence mais il existait aussi des culottes longues pour les cavalières comme le montre ce portrait équestre de la reine Marie-Antoinette ci dessous.

Puis par la suite,tout en s’appuyant sur le décret du 29 octobre 1793 la préfecture de Paris promulgue l'ordonnance de 1800 (datant du 16 brumaire de l'an IX soit le 7 novembre 1800) intitulée:
« Ordonnance concernant le travestissement des femmes » interdisant tout bonnement aux femmes le "port des habits de l'autre sexe " et donc de s’habiller de manière a ressembler a un homme. Des lors que le pantalon était considéré comme un vêtement masculin,celles ci devaient se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l'autorisation lors de circonstance très particulières sous peine d’amende. Cette loi au caractère désuet et discriminatoire,maintenant abrogée mais étonnamment en vigueur jusqu'en 2013,soit pendant plus de deux siècles,révèle ainsi que le pantalon est à son tour lui aussi un symbole de puissance mais cette fois entre les sexes.

